Dans un sport professionnel souvent décrit comme étant solitaire, les joueurs de tennis ont pu passer plus de temps que jamais avec leurs proches au cours de l’année 2020, en raison de la pandémie de Coronavirus. Par conséquent, comment réagiront-ils au retour à des réglementations strictes en matière de quarantaine au moins au début de la saison 2021 ?
« Vous savez, être joueur de tennis est un travail plein de solitude. Si vous y réfléchissez, ce n’est presque rien d’autre que de la solitude. » Ces mots sont signés Yannick Noah et ont été imprimés dans les pages du journal L’Humanité, en 1997. Ils sont toujours d’actualité. Le tennis, en lui-même, n’a pas changé. Cela reste un combat contre soi autant qu’un duel contre un adversaire, un double combat à mener de front, ce qui rend ce sport unique et si difficile psychologiquement. Mais le monde a changé. Le Coronavirus a perturbé le monde du tennis plus que d’autres sports. Bulles bio-sécurisées autour des tournois, exigences pour se déplacer avec un entourage minimal, stades fermés au public, les joueurs de tennis se retrouvent plus isolés que jamais. Cette nouvelle situation, vécue au cours des quatre derniers mois de la saison 2020, se poursuivra en 2021 – au moins pour le premier trimestre, et probablement plus -, jusqu’à ce que l’avancement du programme de vaccination permette à terme un retour progressif à la normale.
Sujet tabou dans le milieu du tennis, la solitude est une partie incontournable de cette présaison, avant même la nouvelle année à venir, qui posera ses propres problèmes. En parler devient presque monnaie courante aujourd’hui, notamment grâce à la plate-forme Behind The Racquet lancée par le joueur américain Noah Rubin (n°250). Le Grec Stefanos Tsitsipas (n°6) avait longuement parlé de sa solitude sur le circuit en juillet dernier. « Le tennis est un sport très solitaire, où vous jouez seul », avait déclaré le joueur grec. « Nous avons une équipe qui nous accompagne partout dans le monde, mais j’ai passé d’innombrables nuits à ne pas pouvoir dormir car j’étais seul. Tous ces voyages et la compétition m’ont causé beaucoup de stress et je me suis isolé. » De son côté, l’Australien Nick Kyrgios (n°45) a exprimé publiquement ses difficultés à s’en sortir seul sur le circuit. « Je me suis beaucoup perdu, je me sentais seul au milieu d’un océan de gens », a déclaré l’ancien n°13 mondial au magazine Stellar, dans le supplément Sunday Telegraph à Sydney en novembre dernier. « Je n’avais pas le sentiment de pouvoir parler à qui que ce soit de ce que je ressentais. Je luttais avec beaucoup de choses et je n’avais pas l’impression d’avoir une maison, car je voyageais tout le temps. »
En trois phrases, Kyrgios a mis des mots sur les troubles que lui et ses collègues ont fréquemment éprouvés. « J’ai travaillé avec des joueurs pour qui il était difficile de vivre loin de chez eux », a expliqué Sophie Huguet, une psychologue du sport qui a travaillé avec des Juniors sur le circuit ITF, des joueuses du Top 100 à la WTA et des joueurs du Top 500 à l’ATP. « Tout le monde n’a pas le désir de voyager à tout moment, d’être loin de sa famille et de ses repères. C’est un vrai sujet sur lequel travailler, pour pouvoir voir les bénéfices de ces voyages. Si elle est vécue à chaque fois comme une épreuve, cela peut être très compliqué – d’autant que certaines personnes voyagent dans de très mauvaises conditions. C’est une vie unique, cette vie de solitude, qui peut créer des difficultés émotionnelles. Tout le monde ne la trouvera pas à son goût. Même si la personne a du talent, il est très important de le reconnaître. » Ce sera encore plus le cas en 2021. Comme pour tout le monde, les confinements imposés lors de la pandémie de Coronavirus ont permis aux joueurs de passer plus de temps avec leurs proches. Si ils ont perdu l’adrénaline de la compétition, ils ont gagné autre chose, ailleurs. « Je me suis éloigné de ma famille parce que je voyageais beaucoup – c’était difficile de rester en contact. Depuis que je suis de retour, j’ai presque l’impression d’avoir recommencé avec ma famille », avait déclaré Kyrgios en novembre. « C’était génial. » Ce n’est probablement pas un hasard si Nick Kyrgios a retardé son retour sur le circuit et n’a participé à aucun des tournois organisés entre août et novembre.

Il en va de même pour son compatriote, la n°1 mondiale Ashleigh Barty. Entre le contexte sanitaire, la méthode de calcul des classements adaptée à la situation et la possibilité de rester à la maison pendant un certain temps, il y avait de nombreuses raisons de les influencer et de ne pas précipiter leur retour dans le tourbillon du circuit. « Lorsque vous êtes de nouveau avec votre famille pour une longue période, vous appréciez l’aspect positif d’être à la maison et il peut y avoir une question, si cela vaut vraiment le déplacement », a dit Sophie Huguet. « Pour certains, les joueurs plus âgés, la question de la retraite peut se poser plus rapidement. Même parmi les jeunes, ceux qui ont du mal à gravir les échelons, certains peuvent se dire : ‘À quoi ça sert ?’« Quel est l’intérêt de revenir à cette vie de solitude, de courir après des victoires sans pouvoir les partager avec qui que ce soit ? « Un jour, au Challenger de Barranquilla, je suis rentré avec le trophée dans ma chambre d’hôtel et j’ai réalisé que j’étais seul », avait déclaré l’Uruguayen Pablo Cuevas (n°67) au podcast Tres Iguales en juillet 2019. Pour beaucoup, c’est la routine quotidienne sur les circuits secondaires, où les concurrents n’ont pas les moyens de se payer un effectif important ni d’emmener leur famille aux quatre coins du monde. Mais la COVID-19 a bouleversé les pratiques de tout le monde, y compris ceux qui sont plus haut dans le classement. « Les joueurs classés autour de la 500ème place mondiale ont l’habitude de vivre dans des conditions très particulières dans certains tournois, certains pays », a expliqué Sophie Huguet. « Ils travaillent sur leur capacité d’adaptation chaque semaine. Ceux qui ont le confort d’un meilleur classement, qui ont mis en place une routine avec un staff, ont été plus déstabilisés. Ils ont également participé aux petits tournois, mais ils n’ont pas été habitués à être seuls depuis des années. »
Désormais, chacun a sa propre méthode pour combler le vide. Le Français Gaël Monfils (n°11), par exemple, a lancé sa chaîne Twitch pendant la quarantaine, et il a déjà indiqué qu’il continuerait à la faire fonctionner sur le circuit pendant la saison 2021, car elle fait partie intégrante de sa nouvelle routine. « Nous devons essayer de recréer les repères qui nous manquent, pour savoir comment occuper ce temps libre. Il y en a qui le font très bien, avec des livres ou des films, mais à la longue, ça devient compliqué », a admis Sophie Huguet. « Les jeux vidéo, vous vous y familiarisez rapidement. Vous devez varier ce qui peut être fait dans votre chambre. Créer des points de référence dans cette incertitude n’est pas facile, car il n’existe pas 150 solutions. » La chambre sera le lieu où les joueurs passeront 19 heures par jour pendant les deux semaines de quarantaine qui leur sont imposées à leur arrivée à Melbourne. Cet isolement forcé peut rendre fou, d’où l’importance de maintenir une routine et un lien avec le monde extérieur. « La tâche la plus importante pour eux est d’exprimer leurs sentiments, de rompre la solitude en faisant appel à leurs proches, et de ne pas hésiter à demander du soutien. Le pire pour un joueur de tennis est de se replier sur lui-même. Il est important de verbaliser, de ne pas l’ignorer. Ce n’est pas facile d’aborder le sujet quand on voit quelqu’un qui ne va pas très bien. » Mais la solitude ne doit pas être uniquement un danger pour le joueur. Cela peut l’aider à s’habituer à être tout aussi seul lorsqu’il est sur le court. « C’est aussi une façon de travailler sur une relation avec soi-même, d’accepter d’être à l’aise avec soi-même. Certaines personnes sont vraiment déstabilisées. D’autres ont développé un goût pour cela, reconnaissant qu’ils peuvent être tranquilles, prendre soin d’eux-mêmes. C’est un processus d’apprentissage, vous ne devez pas présenter la solitude comme quelque chose de négatif. Certaines personnes ont besoin d’une vie sociale, d’être entourées, et elles peuvent rejeter la solitude. Mais elles doivent comprendre que cela peut aussi être une source de renouveau. » Quoiqu’il en soit, une chose est sûre : tout le monde accepter la nouvelle réalité du circuit et s’y adapter.
Crédit photos : @1NewsSportNZ, @Welovetennis
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