Si l’on se penche quelques secondes sur les trois derniers vainqueurs d’un Masters 1000, on peut se rendre compte qu’ils ont été remportés par des joueurs non européens. Quand on sait que depuis plus d’une dizaine d’années, les tournois de cette catégorie ont été vampirisés par ce que l’on appelle le Big Four (Federer, Nadal, Djokovic et Murray) qui sont tous les quatre européens, on est alors en droit de se poser une question : le tennis masculin est-il en train d’entrer doucement dans une nouvelle ère ? Au-delà de cette statistique, on se rend compte que le Big Four n’est plus depuis quelques années, et que même si cela reste encore timide, des joueurs marquent çà et là leur empreinte au palmarès des plus grands tournois.
Comme nous vous le disions en introduction à cet article, en dix ans les membres du Big Four n’ont laissé que des miettes concernant les Masters 1000. En 90 tournois joués entre 2008 et 2017, 76 ont été remportés soit par Roger Federer, Rafael Nadal, Novak Djokovic ou Andy Murray (ce qui fait un ratio de 84,5% des tournois remportés). Mieux, en 2011, 2013 et 2015, ils se sont partagés la totalité de ces tournois. Ils n’ont laissé les autres années que quelques miettes sur leur passage : Nikolay Davydenko en a profité en 2008 et 2009, tout comme Jo-Wilfried Tsonga en 2008 et 2014, Ivan Ljubicic et Robin Soderling en 2010, David Ferrer en 2012, Stan Wawrinka en 2014 et Marin Cilic en 2016. Comme nous l’avons dit, ces quelques joueurs ont réussi à ramasser les miettes laissées par le Big Four. En revanche, en 2017, il y a eu un changement : le Big Four n’a remporté « que » cinq Masters 1000 sur les neuf tournois joués. Si on en restait là, on pourrait se dire que cela n’a rien de grave, mais essayons de voir plus loin : les cinq tournois ont été glanés par Federer et Nadal. Pas de Djokovic ni de Murray à l’horizon… De plus, Federer et Nadal se sont partagés les quatre premiers tournois de la saison (Indian Wells et Miami pour le premier, Monte-Carlo et Madrid pour le second), et ensuite Federer aura dû attendre le tournoi de Shanghai pour soulever à nouveau un trophée en Masters 1000. Les autres Masters 1000 ont été remportés par Alexander Zverev (Rome et Montréal), Grigor Dimitrov (Cincinnati) et Jack Sock (Paris-Bercy).
Toutes ces statistiques ne prennent pas en compte ce début de saison 2018, qui reste dans la même tendance que la saison 2017. Si l’on prend les sept derniers Masters 1000 joués (soit depuis le tournoi de Rome 2017), six d’entre-eux ont été remportés par des joueurs non membres du Big Four. En effet en ce début d’année, c’est Juan Martin Del Potro qui a remporté Indian Wells et il y a quelques jours seulement, John Isner soulevait son premier trophée en Masters 1000 à Miami. De quoi se poser des questions sur la tendance actuelle dans le monde du tennis masculin. En effet, il semblerait que des joueurs « vieillissants » comme Federer ou Nadal n’aient plus la même emprise qu’il y a quelques années. Et c’est tout à fait normal, ces joueurs gagnent encore des tournois du Grand Chelem, ils sont encore au sommet du classement (rappelons qu’ils sont actuellement n°1 et n°2 mondiaux), donc ils ne peuvent pas être au top toute l’année. Il leur arrive parfois d’avoir des ratés, comme le Suisse qui s’est fait éliminé dès son entrée en lice à Miami. Là où il y a une grosse différence, c’est que Novak Djokovic, longtemps blessé au coude, peine à retrouver son meilleur niveau, et que Andy Murray, opéré à la hanche, n’a pas encore effectué son retour à la compétition. On couvre moins de terrain à deux qu’à quatre, et le circuit s’en ressent. Autre changement, des joueurs plus ou moins expérimentés parviennent çà et là à se montrer dominants tout au long d’un tournoi. ce fut le cas de Del Potro à Indian Wells, où il a semblé intouchable, parvenant même à faire déjouer le n°1 mondial Roger Federer en finale. Même constat en ce qui concerne John Isner qui, à 32 ans, a certainement joué son meilleur tennis pour remporter son premier Masters 1000. Mais attention, il semblerait que cela reste encore ponctuel et qu’il manque une chose essentielle à tous ces joueurs pour bousculer l’ordre établi : la régularité.
Là où Rafael Nadal et Roger Federer sont encore très forts, c’est qu’ils parviennent à être réguliers sur les gros tournois tout au long de l’année. Bien que blessé depuis le début de saison, ce qui l’a empêché d’évoluer à son meilleur niveau, l’Espagnol vient de retrouver la première place mondiale. Il a certes beaucoup de points à défendre à l’orée du début de la saison sur terre battue, mais si son corps le laisse tranquille, il ne fait aucun doute qu’il saura se montrer dominant, comme à son habitude. En ce qui concerne le Suisse, on a bien vu en début d’année de quoi il était encore capable : il a bien gagné le premier Grand Chelem de la saison à l’Australian Open, et il sera présent à nouveau en forme sur gazon pour défendre son titre à Wimbledon. Il ne manquerait plus que Djokovic et Murray reviennent en forme pour que la domination du Big Four puisse avoir un goût de « reviens-y ». De plus, on voit que la régularité n’est pas le fort de la jeune garde. En effet, des joueurs comme Alexander Zverev (qui a remporté ses premiers Masters 1000 l’an dernier) ou encore Grigor Dimitrov (vainqueur lui aussi de son premier Masters 1000 à Cincinnati en 2017) ne sont pas encore assez réguliers tout au long de l’année. Certes, ils sont bien installés dans le Top 10, mais ils ont des coups de mou qui leur valent encore l’étiquette d’espoir à confirmer.
En revanche, on peut tout de même dire que petit à petit, une nouvelle ère s’installe dans le tennis masculin. Ceux qui étaient en haut de l’affiche ces dix dernières années vieillissent et commencent à être en retrait, et les jeunes se font une place de plus en plus grande aux sommets. En effet, mis à part le Big Four, on peut voir que des habitués du Top 10 ont enregistré un net recul. Suite à des blessures, Stan Wawrinka, Milos Raonic ou encore Kei Nishikori ont nettement reculé au classement. D’autres, comme David Ferrer, Tomas Berdych ou Jo-Wilfried Tsonga semblent moins compétitifs maintenant qu’ils ont dépassé la trentaine. Conséquence, les portes s’ouvrent pour d’autres joueurs : Jack Sock qui a remporté le tournoi de Paris-Bercy en fin d’année dernière, Juan Martin Del Potro et John Isner qui viennent de faire leur retour dans le Top 10 n’en sont que des exemples. On peut voir que le Top 10 est beaucoup moins stable qu’avant, que des joueurs y rentrent ou en sortent presque toutes les semaines désormais. Pour ceux qui s’en souviennent, on a l’impression d’être dans une ère beaucoup moins stable qui fait penser aux années de transition entre l’hégémonie de Pete Sampras au sommet du tennis mondial et celle de Roger Federer et ensuite du Big Four à partir de 2003-2004. Entre 2000 et 2003, les n°1 mondiaux s’enchaînaient et c’est ce qu’il risque d’arriver dans les mois à venir… Bien que pour l’instant, le jeu de la chaise musicale pour le trône de n°1 mondial ne semble se jouer qu’entre Nadal et Federer et qu’ils n’ont aucune envie de voir d’autres joueurs y participer.