Ils s’appellent Geoffrey Blancaneaux (n°161), Gabriel Debru (n°502) ou encore Elsa Jacquemot (n°175). Leur particularité ? Ils ont déjà été sacré en Grand Chelem, chez les Juniors, et disputent cette semaine les qualifications pour Roland-Garros. D’ailleurs, depuis 2000, un total de dix-sept Français ont remporté un Grand Chelem chez les juniors. Parmi eux, seule Marion Bartoli a réédité l’exploit chez les pros.
Cette année, cela fait 40 ans qu’un joueur français n’a plus inscrit son nom au palmarès de Roland-Garros (depuis Yannick Noah, en 1983). Pas mieux chez les dames, puisque la dernière victoire de Mary Pierce remonte en 2000… Pourtant, il est régulièrement arrivé que des joueurs tricolores triomphent chez les Juniors, que ce soit à Roland-Garros ou ailleurs. Cependant, la transition vers le circuit professionnel n’est jamais aisée et parfois, ces cadors des Juniors ne connaissent pas une carrière pro à la hauteur de leurs attentes. Gaël Monfils (n°386), vainqueur à l’Open d’Australie, Roland-Garros et Wimbledon chez les Juniors en 2004 et Kristina Mladenovic (n°165), qui avait remporté Roland-Garros en 2009, sont les derniers à être ensuite entré dans le Top 10 mondial. Derrière eux, il y a pourtant eux de belles victoires, comme celle de Geoffrey Blancaneaux (n°161) à Roland-Garros en 2016, Harold Mayot (n°199) à l’Open d’Australie en 2020 ou encore Elsa Jacquemot (n°175) à Roland-Garros en 2020. Par ailleurs, des joueuses comme Diane Parry (n°77) ou Elsa Jacquemot (encore elle) ont occupé la première place mondiale chez les Juniors. Cependant, selon Nicolas Escudé, le DTN (directeur technique national), ils ne doivent représenter qu’une étape, pas une finalité. « A ne faire de la compétition que pour le résultat, on peut avoir la technique qui se dégrade », a-t-il déclaré dans des propos relayés par franceinfo. « Et en se donnant pour but de gagner un Grand Chelem juniors, on peut fermer les yeux sur une petite carence physique à un instant T qui ne porte pas encore préjudice, mais qui, dans le futur au plus haut niveau, sera irrémédiable. Il faut donc continuer à travailler. »
Vainqueur surprise de Roland-Garros en 2016, Geoffrey Blancaneaux a eu du mal à digérer les attentes qui pesaient ensuite autour de lui. « Je n’étais pas prêt à gérer une victoire à Roland-Garros et tout ce que ça impliquait comme sollicitations », a témoigné le joueur de 24 ans, qui dispute actuellement les qualifications. « Et je pense que je n’avais pas le niveau de jeu pour arriver sur le circuit professionnel. J’ai reçu beaucoup d’invitations pour jouer des Challengers, où ça a été difficile, alors que j’avais de meilleurs résultats sur le circuit Futures. » Le joueur aujourd’hui classé 161ème mondial à l’ATP a été jusqu’à avouer qu’il aurait aimé que le circuit Juniors « dure plus longtemps ». « C’est plus enfantin. Il n’y a pas la pression de l’argent, les adversaires sont plus des copains et on dîne souvent ensemble », a-t-il relevé. « Quand on passe du circuit Juniors, où il y a souvent du public qui vient observer les jeunes talents, à un tournoi Futures au fin fond de la Turquie, où il n’y a que ton coach sur le bord du terrain, pas de ramasseurs et un seul arbitre de chaise, ça peut être difficile de s’adapter. » De son côté, Gabriel Debru (n°502) est le champion en titre, puisqu’il a remporté Roland-Garros chez les Juniors en 2022. Il arpente actuellement le circuit secondaire, où pour lui les adversaires et la concurrence ne sont pas les mêmes. « Dans les tournois Juniors, l’adversaire peut donner beaucoup plus de points en tentant des coups trop compliqués dans des moments cruciaux, alors que les pros gardent la tête froide et sont prêts à jouer quarante coups pour gagner le point s’il le faut », a expliqué le joueur de 17 ans. « Et un match est beaucoup plus long à jouer chez les pros que chez les Juniors, non pas par la durée, mais par la faculté mentale, parce qu’il faut beaucoup plus de concentration, et ne jamais la relâcher. » Physiquement, c’est également différent. Gabriel Debru mesure 1m93 et il avait un net avantage quand il était parmi les adolescents. Aujourd’hui, il en profite moins contre des adultes « qui ont en moyenne 25 ans et plusieurs années sur le circuit. » Le corps doit également s’adapter à une charge de travail quotidienne inédite. Les entraînements sont plus intensifs et ils peuvent amener à des blessures, comme ce fut le cas pour Harold Mayot ou encore Arthur Cazaux (n°193), son compatriote de 20 ans, finaliste de l’Open d’Australie en 2020 et dont la progression a nettement été ralentie.

Pour Geoffrey Blancaneaux aussi, les pépins physiques sont vite arrivés. Alors qu’il s’était donné l’objectif d’atteindre le Top 100 dans les deux ans après sa victoire à Roland-Garros en 2016, les résultats n’ont pas suivi. « Quand on est bon en Juniors, on enchaîne les matchs et on arrive avec 70-80% de victoires », a analysé l’ancien champion Arnaud Clément. « Sur le circuit pro, ce ratio diminue d’un coup et certains le vivent mal parce qu’ils n’ont pas été habitués à la défaite. » Ainsi, Geoffrey Blancaneaux avait perdu le plaisir de jouer pendant quelques temps. « Quand on ne gagne pas beaucoup de matchs, qu’on n’a pas les résultats que l’on attend, on se démoralise », a-t-il confié. « J’ai même voulu arrêter le tennis pendant l’année du Covid, parce que je ne trouvais plus la motivation de m’entraîner. Mais le manque de taper dans la balle et de jouer devant du public est revenu assez vite. » Pour essayer de réussir cette transition entre deux mondes diamétralement opposés, la FFT encourage les meilleurs juniors à disputer quelques tournois professionnels en parallèle parfois dès l’âge de 15 ans, comme ce fut le cas pour Gabriel Debru. « C’est un passage délicat vers un autre monde, donc en fonction du niveau de jeu, on les met en confrontation sur le circuit pro pour se mesurer à la concurrence », a expliqué Nicolas Escudé. Certains espoirs du tennis français pourraient améliorer les statistiques dans les années à venir. Vainqueur de Roland-Garros chez les Juniors en 2021, Luca Van Assche (n°79), aujourd’hui âgé de 19 ans, est un peu en avance puisqu’il est entré cette année dans le Top 100. Cependant, il ne faut pas s’en faire : certains joueurs peuvent entrer tardivement dans cette élite mondiale, comme l’ont démontré Benjamin Bonzi (n°65) et Grégoire Barrère (n°55), entrés dans le Top 100 pour la première fois à 25 ans, ou encore celui de Constant Lestienne (n°69), qui a attendu ses 30 ans. « L’âge n’est pas un problème quand on a la passion, et par rapport à un Félix Auger-Aliassime que j’ai battu en finale à Roland », a conclu Geoffrey Blancaneaux. « On fera les comptes à la fin de nos carrières. »
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