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Lucas Pouille s’ouvre sur sa dépression et son dégoût du tennis

La saison dernière, Lucas Pouille (n°459) était à deux doigts d’arrêter définitivement le tennis. Il sombrait dans une dépression dont il a eu du mal à sortir… Et puis, un entraînement partagé avec Pierre-Hugues Herbert (n°377) a tout changé. Avec les Jeux Olympiques de Paris, en 2024, comme objectif en ligne de mire.


C’est dans un anonymat presque total que Lucas Pouille (n°459) s’est entraîné, ses dernières semaines, sur les courts en terre battue du Montfleury Cannes TC. Épaulé par Enzo Py, son ami d’enfance qui a bien voulu l’accompagner dans sa nouvelle tentative de retour sur le circuit professionnel. En juin 2022, ce dernier avait regardé Lucas Pouille sombrer lors d’un tournoi Challenger disputé sur gazon à Nottingham. « C’était un autre mec, un autre joueur, et les deux n’étaient pas beaux à voir sur un terrain de tennis », a ainsi expliqué Enzo Py pour nos confrères du quotidien L’Equipe. « Je n’avais jamais vu Lucas dans cet état, avec ce body language, ces mimiques, jusqu’à lâcher des points. Il n’avait plus le coeur ni la tête. Il y avait du dégoût généralisé et une démoralisation énorme. » Qu’arrive-t-il à ce joueur qui avait atteint le Top 10 et notamment battu Rafael Nadal (n°13) lors de l’US Open en 2016 ? La réponse tient en un mot : dépression. Le malaise semblait profond, et comme le demandait le joueur lui-même à ses proches : « Vous trouvez ça normal qu’à 28 ans, alors que je suis père de famille, je pleure tous les soirs dans ma chambre d’hôtel à chaque fois que je perds un match ? » Tout son entourage s’était alors rendu à l’évidence : la carrière du Nordiste était terminée et il fallait (déjà) penser à l’après-carrière. « Le tennis le rendait triste, c’était même la chose qui le rendait le plus triste au monde », a notamment confié Thierry Ascione, qui l’entraînait encore l’année dernière, à L’Equipe. « Quand il appelle l’été dernier pour dire qu’il va arrêter le tennis, pour moi, c’était fini. En juillet, on travaillait ensemble sur sa reconversion. Est-ce qu’il voulait aller dans le padel, dans le business, dans le foot, dans le golf, dans le surf ? Le tennis n’était pas du tout un sujet. C’était plié. »

En janvier 2019, le joueur tricolore atteignait les demi-finales à Melbourne. Mais en 2020, en pleine crise du Covid, Lucas Pouille n’avait quasiment pas joué. Plus à cause de son coude droit grinçant que de la pandémie. S’il est revenu à la compétition l’année suivante, l’envie n’y était plus. La dépression pointait déjà le bout de son nez et le joueur français a traîné son boulet pendant de très longs mois. Jusqu’à enchaîner les blessures. Et même s’il est réapparu en forme, l’année dernière, lors du Masters 1000 de Madrid (où il avait notamment battu Karen Khachanov en deux sets 6-3, 6-4), ce n’était qu’un feu de paille. « C’était l’ego, l’excitation, le fait de jouer un gros tournoi », a confié le Nordiste dans les colonnes du quotidien L’Equipe. « Mais je suis déjà sur un fil et ça va lâcher dans la tête d’un moment à l’autre. J’en suis découragé : je fais des efforts, je me mets minable à l’entraînement pendant des semaines pour qu’au moment où je suis prêt, ça pète. Je me retrouve à l’hôpital de Nice pendant quinze jours à faire du caisson hyperbare pour m’aider à guérir plus vite. Je suis entouré de gens malades, mourants, des cancers en phase terminale… Et moi je suis là pour ma petite fracture à la côte. Ça peut t’aider à relativiser, mais, moi, ça me foutait le cafard. J’ai commencé à avoir un côté plus sombre et à entrer dans une dépression qui m’a amené, après Roland, en Angleterre, à dormir une heure par nuit et à boire seul. » Le mal était donc profond, même s’il essayait de le cacher à son entraîneur, Félix Mantilla. « Impossible de fermer l’œil », a ajouté Lucas Pouille concernant ce Challenger de Nottingham déjà évoqué précédemment. « J’étais tout seul avec Félix. Je rentrais dans ma chambre et je regardais le plafond. Je m’enfonçais dans un truc glauque. Je me levais avec les yeux éclatés. Tous les matins, Félix me demandait : ‘Tu ne dors pas ?’ – ‘Si, si, je fais des allergies, la moquette, le pollen, l’herbe…’ Je lui mentais. Je m’enfermais, je n’en parlais à personne. Comme je ne suis pas le mec qui parle le plus… Tu arrives crevé à l’entraînement, plus irritable aussi. J’étais dans une sale phase. Et j’ai pris la décision de dire stop. Sinon, j’aurais fini à Sainte-Anne, chez les fous. Pour ma santé mentale, il fallait arrêter. J’allais prendre le mur. Ce n’était pas me respecter en tant que joueur. Je ne pouvais pas montrer cette image de moi. L’élément déclencheur, c’est en pleine nuit, je reçois une notification sur mon portable et je vois une photo de ma fille. Là, je me dis : ‘Ce n’est pas possible. Ciao !’« 

C’est ainsi à ce moment-là que Lucas Pouille a rangé ses raquettes au placard, se préparant à une nouvelle vie. Cependant, il ne perd rien de sa caisse physique, puisqu’il s’adonne à deux sports qui lui font du bien dans la tête : le padel et le crossfit. Le tennis n’était lui manque absolument pas et il remonte la pente, petit à petit. Et puis, en octobre dernier, Pierre-Hugues Herbert, en pleine convalescence lui aussi, lui passe un coup de fil et ils s’entraînent ensemble au CNE (Centre national d’entraînement). « Je sais que je dois venir à Paris pendant Bercy », a expliqué le joueur de 29 ans. « Dix jours avant, Pierre-Hugues m’appelle pour me proposer de jouer avec lui. On se retrouve sur un court un peu à l’écart au CNE. Et pour la première fois depuis un bon moment, je prends beaucoup de plaisir. Je ne m’entraîne pas, je joue au tennis. Puis Mathias Bourgue me propose à son tour de jouer. OK. Et arrive Bercy. Je croise la presse. On m’interroge sur les Jeux Olympiques que je n’ai jamais disputés. Ça me travaille. Et en partant de Bercy, je dis à ma femme : ‘Je reprends le tennis.’ Elle était aux anges. En fait, si je décide de ne pas aller à Paris, que je reste chez moi, à l’écart, je n’aurais jamais repris. » L’objectif est donc de remonter au classement ATP et de se qualifier pour les Jeux Olympiques de Paris, même si le temps presse. « J’y pense tous les jours », a-t-il confié. « C’est le seul événement auquel je n’ai pas participé. Faire les Jeux à Paris, c’est l’expérience d’une vie. J’ai envie d’essayer. Si j’y arrive, c’est génial et si je n’y arrive pas, je n’aurais pas de regrets parce que j’aurais tout fait pour. » La seule condition, c’est tout de même de ne pas se blesser à nouveau : « Si je me refais un truc grave, je ne sais pas si j’aurai le courage et la force de repartir au charbon. » En attendant, après deux semaines d’entraînement entre Nice et Cannes, Lucas Pouille et Enzo Py vont s’envoler ce mardi pour une tournée d’un mois sur terre battue aux États-Unis, qui débutera par le tournoi ATP 250 de Houston et se poursuivra en Challenger (Sarasota, Tallahassee et Savannah). Avec l’espoir de remonter vite au classement et de retrouver son rang pour lui, le demi-finaliste de l’Open d’Australie en 2019. Si proche et pourtant si loin…

Article rédigé par Yannick Giammona
Crédit photos : @la_pouille, @UniversTennis

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