Ce dimanche 24 mai aurait dû débuter l’édition 2020 de Roland-Garros. Mais, comme tout le monde le sait, le tournoi devrait être reporté au mois de septembre prochain, à cause de la crise liée au Coronavirus. Et même si nous ne savons pas encore si le tournoi aura bel et bien lieu, l’idée a été émise de jouer sans public, à huis clos. En ce jour un peu spécial pour tout fan de tennis en France, nous vous proposons ainsi d’imaginer ce que pourrait être notre tournoi du Grand Chelem national sans la présence des fans…
Habituellement, la première semaine du Grand Chelem parisien, ça fourmille dans les allées de la Porte d’Auteuil. Cependant, avec Roland-Garros qui se dispute à huis clos en ce mois de septembre 2020, on distingue des sons que l’on n’entend pas en temps normal. Le chant des oiseaux, le moteur des voitures, les discussions entre joueurs et entraîneurs. Sur le Court Suzanne Lenglen, c’est le désert. Pas un chat pour regarder les rencontres qui se succèdent les unes après les autres, avec le minimum de présence sur le court, par respect des gestes barrières : seuls les deux joueurs (ou les deux joueuses) sont là, l’arbitre de chaise (qui porte bien son masque), trois ramasseurs de balles (masques et visières sont de sorties et ils ramassent les balles avec des épuisettes à papillon) et quatre juges de ligne (équipés de masques et de visières eux aussi). Depuis la cabine des commentateurs, c’est tout juste si les joueurs n’entendent pas les journalistes, qui chuchotent plus qu’ils ne parlent pour les déranger le moins possible. Car oui, le tournoi est tout de même retransmis à la télévision, avec un journaliste par cabine, désinfectée matin et soir. Ils ne portent pas de masque pour pouvoir parler dans leur micro, mais du coup ils se retrouvent bien seuls… Le match qui se déroule actuellement sur le Court Suzanne Lenglen est accroché, mais les joueurs sentent qu’il manque quelque chose pour l’enflammer réellement : les applaudissements des spectateurs, cette ferveur populaire qui fait pencher la balance pour l’un ou pour l’autre. Cahin-caha, après plus de trois heures de jeu, ils parviennent à se départager. Pas d’applaudissements pour le vainqueur, pas de poignet de main avec le vaincu. C’est tout juste si nos deux protagonistes se tapent la raquette l’une contre l’autre. On ne serre pas non plus la main à l’arbitre. Le qualifié pour le tour suivant range ses affaires, il ne se tourne pas vers les tribunes pour remercier le public, vu qu’il n’y en a pas. Un cameraman et un journaliste pénètrent sur le court, masque sur le visage, pour l’interview d’après-match. Qui se déroulera sans accroc, mais sans interaction avec le public, ce grand absent d’une quinzaine automnale où la pluie s’invite régulièrement.

Tiens, il tombe quelques gouttes, justement. Va-t-on fermer le nouveau toit du Court Philippe Chatrier ? Il semblerait que oui, à la demande de Rafael Nadal, qui doit entrer en piste dans quelques minutes. Guy Forget, le directeur du tournoi, se plie aux exigences du Majorquin. Déjà qu’il n’y a pas de public, il ne manquerait plus qu’il se le mette à dos ! Visage fermé, concentré comme à son habitude, l’Espagnol rentre sur le court pour n’en sortir qu’une heure et demie plus tard. Entre temps, il déroule mais ne sera jamais applaudi. Le fait marquant de cette rencontre ? La frappe surpuissante de Nadal résonnait encore plus sous le toit du Philippe Chatrier, tout comme ses célèbres « Vamos ! ». Quelle tristesse de ne pas le voir sourire à la fin du match, de ne pas le voir communier avec ce public qui lui a tant donné. Et à qui il a tant rendu depuis son premier sacre en 2005. Après la pluie, vient le beau temps. Le soleil parvient à faire une percée pour permettre à Roger Federer de disputer son huitième de finale sur le Court Simonne Mathieu. Un court complètement vide, là encore. Le Suisse doit se douter que des millions de téléspectateurs le regardent dans le monde entier, mais il manque ce public, avec qui il aurait souhaité partager encore de nouvelles émotions. D’autant plus que se profile un quart de finale face au tenant du titre, l’homme qui lui a barré la route tant de fois Porte d’Auteuil. La terre est lourde et l’Helvète garde le visage fermé. Il ne sent pas bien la balle, il semble souffrir de voir les tribunes vides. Quand il se tourne vers le box des joueurs, à la recherche du soutien des siens, il ne voit que des sièges vides. Ses entraîneurs ne sont pas là, tout comme Mirka, sa femme, qui semble lui manquer cruellement. Federer est poussé aux cinq sets mais grâce à son talent, il s’en sort et rejoint son plus grand rival pour un quart de finale de gala.

Ce match se dispute deux jours plus tard, sous le toit fermé du Court Philippe Chatrier. Est-ce que ce sera à l’avantage de Rafael Nadal ou de Roger Federer ? Dur à dire, malgré le record dans leurs face-à-face sur terre battue. Les cartes semblent rebattues vu les conditions dans lesquelles se jouent Roland-Garros cette année. Quand les deux légendes du tennis entrent sur le court, nous repensons à leur match d’exhibition disputé en Afrique du Sud, dans un stade de foot, devant une foule en délire. Nous en sommes bien loin et pourtant, il s’agit d’un quart de finale en Grand Chelem. Même si les conditions ne sont pas idéales, les deux joueurs en font fi. Ils sont là pour jouer et pour gagner un match de plus dans leurs carrières déjà bien remplies. Dès les premiers échanges, dans un silence de cathédrale, le ton est donné : ce match pourrait rentrer dans les annales du jeu, tant le niveau est là. La longue pause semble avoir été bénéfique à ses deux monstres. Et nos attentes, à nous observateurs passionnés qui ne bougeons pas de notre petit écran, seront récompensées. Environ cinq heures de jeu, pour cinq sets de folie et des rebondissements à n’en plus finir. On se croirait revenu à la finale de l’Australian Open en 2017. Sauf que cette fois, c’est Federer qui prend l’avantage dans l’ultime set, avec un break d’avance. Mais le taureau de Manacor le rejoint à quatre jeux partout, break dans le jeu suivant après pas mois de sept égalités, et conclura la rencontre à sa quatrième balle de match ! Jamais le Suisse n’avait été si près de battre l’Espagnol dans son jardin de la Porte d’Auteuil, et personne n’était là pour vivre cela en direct depuis les tribunes… Quel gâchis !

Quelques jours plus tard, Rafael Nadal retrouvera Novak Djokovic en finale. Le Serbe a pris sa revanche, en demies, sur l’Autrichien Dominic Thiem, qui l’avait éliminé en 2019. Dans un stade toujours aussi vide, et sous un toit toujours fermé avec cette pluie qui ne cesse de tomber sur la région parisienne. D’ailleurs, en ce premier dimanche du mois d’octobre, la pluie ne tombe pas encore mais il fait froid et le vent souffle. Les deux joueurs voudraient commencer avec le toit ouvert mais ils ont peur d’être interrompus en plein match si des gouttes se mettent à tomber. D’un commun accord, ils décident que cette édition 2020 si particulière se terminera en indoor. Encore une fois, le match est accroché, comme souvent entre ces deux-là. On se souvient de cette finale à Melbourne où ils étaient tous deux exténués, devant s’asseoir durant la cérémonie de remise des trophées ! Nous n’en sommes pas loin. Un autre match de légende pour Nadal à Roland-Garros, après son quart de finale face au Suisse. Un treizième titre, au bout de quatre heures de jeu face au Serbe, remporté au jeu décisif de la quatrième manche. Pas sûr que le Majorquin aurait tenu dans un cinquième set, tant son genou commençait à grincer… La faute à l’humidité et aux efforts consentis tout au long de cette quinzaine. Et pourtant, au bout du compte, c’est encore lui qui gagne. Pour l’Espagnol, le chiffre treize n’est pas forcément synonyme de porte-bonheur, mais il a une saveur toute particulière. Même s’il est tombé de tout son long sur le court une fois la balle de match remportée, comme à son habitude, il n’a pas été applaudi et n’a pas pu monter dans les gradins pour embrasser ses proches. Il a dû se contenter de taper dans la raquette de Djokovic, de saluer l’arbitre d’un signe de tête et il est retourné s’asseoir sur sa chaise. Très heureux malgré tout, il a écrit un SMS : à sa femme, son oncle ou Carlos Moya, son entraîneur… Qui sait ?

Puis est venue la cérémonie de remise des prix. Forcément particulière, elle aussi. Et expédiée. Guy Forget, masque devant la bouche et mains gantées, est venu remettre les trophées au vainqueur et au finaliste, qui avaient dû mettre un masque eux aussi. Nadal a brandi la Coupe des Mousquetaires devant un stade vide, l’objectif de la caméra braqué sur lui pour que les télévisions et les téléspectateurs du monde entier puissent le voir. Et ce sera tout. L’ensemble des quelques personnes présentes à cette cérémonie qui n’en avait que le nom part le plus vite possible pour laisser Rafael Nadal et un journaliste trié sur le volet en interview sous le toit du Court Philippe Chatrier. Le Majorquin enlève son masque pour pouvoir répondre aux questions. L’interview ne dure pas plus de cinq minutes, puis le stade se vide. Ainsi s’achève cette édition si particulière, jouée à huis clos pendant deux semaines, dans un stade Roland-Garros qui n’aura jamais été aussi calme.
Crédit photos : @rolandgarros
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