En ce début de saison 2019, l’ITF avait tenté de réformer son circuit secondaire, notamment en octroyant un classement différent des classements ATP et WTA. Le but était de réduire le nombre de tournois et de joueur(euses) dans le milieu professionnel. Mais suite aux protestations des protagonistes du tennis eux-mêmes, ce système a officiellement pris fin ce lundi 5 août. Explications.
Notre collaboratrice Lou Adler, joueuse française écumant le circuit ITF, vous en avait parlé dans ses chroniques. Ce lundi 5 août, la réforme lancée par l’ITF en début de saison a officiellement pris fin. C’est une source de joie pour de nombreux acteurs du tennis, promoteurs d’une « anti-réforme » officiellement dévoilée ce lundi. Les points ITF, qui ont donné lieu à un classement distinct de celui de l’ATP et de la WTA, et ont permis de diviser la route vers les Challengers et les événements de niveau supérieur, ont été officiellement convertis en points ATP et WTA. Les circuits reviennent donc à la formule mise en place au cours des dernières années.
Une réforme vouée à l’échec
Cela fait six mois que toutes les entités du tennis touchées par cette réforme ont organisé des manifestations. Des plateformes, des groupes, des podcasts, tout cela pour annuler un changement qui ne laissait aucune marge de profit. L’ITF World Tennis Tour, présenté en fin d’année dernière pour une mise en place en janvier 2019, était voué à l’échec. Les joueuses et les joueurs avaient de nombreuses raisons de se plaindre : l’immense quantité de tournois Futures et ITF qu’il fallait gagner pour s’imposer dans la zone noble du classement ITF, les limbes dans lesquelles vous laissiez de nombreux joueurs n’ayant pas assez de points ITF et qui ont vu leurs sièges se réduire pour pouvoir participer aux tournois ATP ou WTA et, surtout, le fait d’anéantir le rêve de nombreux joueurs en devenir. Les qualifications des tournois ITF avaient été raccourcies, ce qui a fait un carnage parmi les joueurs qui tentaient de se faire une place dans un tournoi où ils n’obtenaient même pas un seul point ATP ou WTA. Selon l’ITF, et son président David Haggerty, cette réforme avait pour but de permettre à ceux qui figuraient dans le classement de voir comment ils tiraient parti du tennis. Le résultat final a toutefois été de tronquer la carrière de milliers de joueuses et de joueurs. Les organisateurs de l’ITF ont également tenté de compenser les pertes générées par le nouveau système en faisant payer un « droit d’entrée » beaucoup plus élevé que les années précédentes ; un élément à ne pas négliger, et qui a nui aux joueurs qui se trouvaient au bas de la pyramide. « Ceux qui sont entre 1200 et 1800, avec le nouveau système, nous avons une chance de jouer au tennis de 0,00002% », a déclaré le joueur de tennis espagnol Bruno Mardones (n°1792) dans un podcast créé par le site BCKHAND. En fin de compte, ces joueuses et ces joueurs bafoués ont été les précurseurs du changement.
Un combat mené et remporté par les joueurs
Les joueurs les plus humbles se sont armés autour de groupes sur Facebook, laissant de côté leur propre intérêt et se mobilisant pour faire pression sur toutes les organisations. Que le nouveau système ne fonctionne pas était plus qu’évident. « Dans chaque tournoi où j’ai joué, j’ai parlé avec les joueurs pour savoir ce qu’ils pensaient de ces changements », a déclaré Juan Pablo Paz pour Page 12, l’un des principaux instigateurs des mobilisations agressives des joueurs de tennis. « La conclusion a été qu’il n’y avait personne qui ait accepté. (…) Un matin, nous étions en Tunisie avec trois Argentins et nous avons décidé de faire quelque chose. Nous avons organisé une réunion et presque tous les joueurs du tournoi sont arrivés. Le tennis est très individualiste, beaucoup sont à l’aise avec leur situation, c’est pourquoi nous ne nous attendions pas à autant de gens. » Ces groupes ont atteint les oreilles des personnalités influentes de ce sport : le principal était le leader Dirk Hordorff (qui a notamment entraîné Janko Tipsarevic et Vasek Pospisil), qui a été en mesure de donner une enceinte aux joueurs de l’ITF. Les conversations dans ces groupes Facebook ont atteint des sites importants, les vidéos de support ont commencé à être virales (Toni Nadal, par exemple, en a envoyé une contre le nouveau système) et les joueurs ont soulevé le débat jusqu’à ce que l’ITF n’ait plus d’autre choix que de leur donner raison. À compter de ce lundi 5 août, les points ITF gagnés au cours de cette saison deviendraient des points ATP et WTA, revenant à l’ancien système de classement unique.
Des joueurs dont les efforts sont enfin récompensés
Quels sont donc les nouveaux changements opérés dès cette semaine ? Désormais, les Challengers n’auront plus plusieurs places réservées aux meilleurs joueurs du classement ITF, les tournois Futures et ITF reviendront aux points ATP et WTA. Bien sûr, les tournois Futures donneront moins de points que les années précédentes : 20 points ATP au vainqueur d’un M25 (contre 35 ou 27 auparavant) et 10 points au vainqueur d’un M10 (contre 27 ou 15 auparavant). La promesse de l’ITF d’augmenter le nombre de tournois tentera de compenser le fait que le combat est devenu acharné, mais au moins, les joueuses et les joueurs commencent déjà à voir la lumière au bout du tunnel. Avec une nouvelle catégorie entre les Futures et les Challengers à l’horizon (les Challengers 50, une invention de l’ATP), le manque de transparence et de communication entre les deux leaders du tennis masculin a également été décisif dans l’échec du nouveau système. Alors que l’ITF augmentait, comme on dit, le nombre de places accordées aux joueurs, les Challengers conservaient les mêmes quatre joueurs précédents, avec seulement deux places pour entrer dans le tableau principal. La guerre de l’ego, avec les revendications des deux dirigeants, a fini par dynamiter toute la réforme. Conséquence, il y a eu de très hautes augmentations dans les classements ce lundi. Le premier nom en question est celui de l’Italien Jannik Sinner (n°135), qui a grimpé de près de 60 places, grâce à son triomphe ce dimanche au Challenger de Lexington mais aussi à ses précédentes performances en Futures, avec deux titres consécutifs en M25 (Trento et Santa Margherita de Pula). En regardant en haut du classement ITF, on peut également voir des changements scandaleux. Le Chinois Yan Bai (n°217), le leader de ce classement déjà obsolète, a gagné 154 places ! Il n’avait pas encore eu la chance d’accéder à des Challengers. Mais ce n’est pas un changement qui est sorti de nulle part : il a remporté cinq titres en Futures cette saison, dans des M25, mais n’a pas pu commencer à jouer des Challengers avant la semaine dernière, où il a atteint les demi-finales au Challenger de Chengdu. Il y a cependant une montée plus spectaculaire, celle de l’Argentin Francisco Cerundolo (n°299), entré dans le Top 300 pour la première fois après avoir grimpé de 161 places. Le jeune joueur argentin (20 ans), qui disputait les Jeux panaméricains cette semaine, a également remporté cinq titres en Futures en 2019 (deux M25 et trois M15) en des points bien séparés sur la carte : Espagne, Argentine, Pérou et Bosnie. Un effort brutal qui ne s’est pas traduit par une ascension jusqu’à cet été, lorsque Cerundolo a commencé à jouer des Challengers sur les courts en dur américains, où il a récolté trois victoires et deux défaites. Il existe beaucoup d’autres cas similaires, mais la plupart des anomalies ont été enterrées. Ce 5 août a été un jour de fête au cours duquel les portes de beaucoup de joueurs se sont ouvertes et qui verront maintenant une lueur d’espoir s’ils décident de s’inscrire à un tournoi Futures, ou verront plus d’espoir s’ils gagnent l’un d’eux. La situation reste, dans de nombreux cas, précaire, mais c’était le premier pas que l’ITF devait franchir pour améliorer la situation de nombreux joueurs de tennis. Clairement, c’est une semaine qui donne de l’espoir : la confirmation que si les acteurs de ce sport se réunissent, de réels changements peuvent être réalisés.
Crédit photos : @Lenewstrotteur, @Gervinator, @PuntoDBreak
À LIRE AUSSI :
Quand Nick Kyrgios surmonte son « côté obscur », il devient un autre joueur…
Les Frenchies de la semaine : troisième titre pour Matthieu Perchicot, Robbe et Thirouin en finale
2 réflexions au sujet de “Le classement ITF touche à sa fin, un échec pour David Haggerty et l’ITF”