Cette saison 2018 aura été celle de trop pour pas mal de joueuses et joueurs français qui subissent quasiment au quotidien les insultes de parieurs qui expriment leur mécontentement, cachés derrière leur écran, de manière virulente. Fer de lance de ce mouvement de révolte, Marine Partaud a été une des premières à en parler dans des propos relayés par nos confrères de Tennis Actu et du quotidien L’Equipe. Ensuite, d’autres joueuses telles que Irina Ramialison ou encore Julie Gervais ont profité des réseaux sociaux pour en parler. Alors que le combat est loin d’être gagné ni terminé, nous avons décidé de faire un flashback sur ce phénomène et son évolution. L’ITF (Fédération Internationale de Tennis) a-t-elle enfin pris ce problème en compte ? Il semblerait que les choses tendent à évoluer, même si cela prend du temps et n’est pas traité de la même façon d’un pays à l’autre…
Marine Partaud, fer de lance de la révolte contre les parieurs
Marine Partaud, aujourd’hui classée n°20 française et 423ème joueuse mondiale à la WTA, a été une des premières joueuses à s’insurger contre les insultes incessantes envoyées par des parieurs déçus sur les réseaux sociaux. Elle en a parlé dans plusieurs médias, se faisant ainsi la porte-parole des joueuses et des joueurs qui écument le circuit ITF et sont l’objet de nombreux messages négatifs. Sa principale crainte ? Que la violence devienne physique. « Arrête le tennis et suicide-toi », « Il est temps de te commander un cercueil », « Je vais te casser les bras et les jambes »… Autant de messages envoyés en ligne par des parieurs déçus à la joueuse tricolore et ses consœurs. Au point que, en juillet, Marine Partaud s’est élevée publiquement contre ces insultes « systématiques ». La joueuse déclarait notamment : « On en parle souvent entre les joueuses de ces problèmes-là de parieurs, car ça devient un problème grave de recevoir des menaces. Ce qu’il faudrait, c’est que les gens réagissent et qu’ils soient au courant de ce qui se passe à travers les réseaux sociaux. C’est presque systématique après chaque défaite et ça arrive même parfois quand on gagne. On reçoit des menaces de mort, des mots très durs. On reçoit tout ça sur tous les réseaux sociaux, Facebook, Instagram et même Twitter. » Voilà pourquoi la joueuse a voulu en parler et l’a fait sans aucune retenue.
Parlons de ces parieurs. Au départ, ils se cachaient derrière un écran pour insulter les joueurs et joueuses, la plupart du temps en anglais. Maintenant, ils ne se cachent plus et se font vite repérer par les acteurs du tennis. Comme ajoutait Marine Partaud dans ses déclarations à la presse : « Ces gars-là on les repère assez facilement, ils n’applaudissent jamais, ont les mains dans les poches, ont un système pour parier en direct. Ça se voit qu’ils ne sont pas là pour le match en lui même ou le spectacle même du tennis. On voit très bien leur comportement. La difficulté, c’est que parfois ils sont en dehors du site, du coup on ne peut rien faire. Les juges arbitres étudient le problème, les voient aussi et parfois réagissent mais lorsqu’ils sont dehors on ne peut pas appeler les policiers, on n’a aucun moyen d’action. »
Un problème que l’ITF ne semblait pas prendre en compte, car l’instance du tennis mondial ne faisait rien jusqu’à il y a peu. Qu’attendaient-ils, qu’un drame se produise ? Là encore, Marine Partaud a partagé son ressenti : « Je dirais que pour l’instant l’ITF fait la sourde oreille mais si les joueurs commencent à réagir peut-être qu’ils changeront. Ils pourraient les éloigner le plus de nous mais aujourd’hui ils ne nous protègent pas énormément. Les joueurs de l’ATP/WTA sont plus protégés mais c’est toujours la même chose, plus d’argent et des tournois payants donc moins faciles d’accès. Il ne faut pas avoir peur de ce genre de menaces qui viennent de l’écran, ces gens-là sont lâches et n’osent qu’à travers un écran. Il ne faut pas avoir peur mais au contraire tous s’unir contre ça, former une immunité et aider l’ITF en signalant sur quels tournois on voit les parieurs, peut-être que ça ferait avancer. Car si chacun garde l’info et personne ne dit rien, ça va continuer, ça va être de pire en pire. Mettre un vigile à l’entrée, pourquoi pas. C’est un peu comme le système anti-terroriste : depuis qu’il y a des forces de l’ordre déployées un peu partout, ça dissuade. Intimider, ça peut marcher. Il faut que les joueurs se réveillent. Si les filles laissent les messages comme ça sans rien dire ça ne changera pas. Il faut être dans une démarche d’union. Il faut stopper l’hémorragie, ça devient un poison pour nous. C’est souvent après le match, jamais avant. Pourquoi pas arrêter les paris sportifs ? Ça génère tellement d’argent que ça paraît compliqué. » Marine Partaud n’a pas été la seule à s’exprimer sur les paris et les insultes qu’elle reçoit. Julie Gervais fait partie des joueuses qui ont osé parler de ce problème.
Des menaces de mort à une légère intervention de l’ITF
De son côté, Julie Gervais (n°502) a également voulu dénoncer ce problème. Classée n°23 au niveau national, la joueuse de 27 ans participe à des tournois dans le monde entier. Elle est actuellement en Inde pour une tournée sur ciment. Julie Gervais est régulièrement la cible des parieurs, comme elle l’a déjà expliqué en déclarant : « Ils viennent aux tournois et parient en temps réel. Si le résultat ne leur convient pas, ils nous insultent et nous menacent. Ils parient mal et c’est nous qui prenons. J’ai été menacée de mort dernièrement. » Il faut savoir qu’en France, les paris sont interdits sur des tournois dotés de moins de 125 000 $. Mais les parieurs utilisent des sites étrangers pour miser sur les matchs. « Ils cachent leurs téléphones dans leurs chaussettes ou dans des journaux et arrivent ainsi à passer les contrôles », détaille la joueuse.
L’ITF tente bien de remédier à ce problème. Elle fait intervenir les forces de l’ordre quand cela est nécessaire et possible. La Fédération Internationale demande aussi aux joueuses et aux joueurs de ne pas répondre aux menaces. Comme le précise Julie Gervais : « Parfois, quand nous perdons un match, c’est déjà dur à digérer. Et puis les insultes arrivent derrière. » Parmi les joueurs, ceux qui seraient tentés par les paris et truqueraient les rencontres se verraient. « Les mecs sont derrière les grillages et nous font des signes. On nous demande de jouer normalement et de faire abstraction de ces menaces. Mais ce n’est pas facile avec la raquette à la main », raconte la Tricolore. « Un des derniers messages que j’ai reçus : ‘J’espère que tu vas mourir, que tu vas avoir un cancer’. Il n’y a jamais eu d’atteinte physique mais on ne sait jamais comment ils peuvent réagir. » Dans certains pays, les forces de l’ordre peuvent intervenir mais ce n’est pas le cas partout. Comme le déplore Julie Gervais : « Au Portugal, par exemple, les forces de l’ordre ne sont jamais sollicitées. En France, il arrive quelquefois que les services de police interviennent. Mais nous retrouvons les mêmes parieurs lors d’autres tournois. Parfois nous arrivons à prendre en photo les gens qui parient, derrière les grillages ou dans les tribunes. Mais il est compliqué de les diffuser. La fédération n’a pas beaucoup de solutions. » La jeune femme dresse enfin un constat amer : « Nous ne pouvons malheureusement pas faire grand-chose. » Mais alors, n’y a-t-il qu’en France et qu’aux Français que de telles mésaventures arrivent ?
Des messages qui à force deviennent le quotidien des joueurs
Au mois de septembre dernier, le joueur allemand Dustin Brown (n°247), né d’un père jamaïcain et d’une mère allemande, partageait le message ordurier – « Véritable enculé de ta mère, fils de pute. […] Singe, retourne chez tes frères singes en Afrique » – reçu d’un internaute furieux… qu’il n’ait pas laissé un jeu de plus à son adversaire. « Moi, ça m’est arrivé de recevoir des dizaines de messages menaçants en cas de défaite, mais aussi en cas de victoire », reconnaît le Français Corentin Moutet (n°149). Les auteurs des insultes, dans les deux cas ? Des parieurs mécontents. Chargée d’enquêter sur la corruption et les paris truqués, la Tennis Integrity Unit (TIU) observe qu’avec le temps, ce phénomène de harcèlement numérique s’est étendu aux joueurs inconnus du grand public, plus vulnérables que les stars. Même Lou Adler nous révélait, dans une interview récente accordée à notre blog : « Cela fait malheureusement partie du quotidien des joueurs et joueuses du circuit secondaire… La toute première fois que cela m’est arrivé, je venais de perdre un match 7/5 au troisième set en ayant mené 5/2 service à suivre. Je me souviens notamment d’un parieur qui s’était un peu acharné et m’avait envoyé cinq ou six messages en m’insultant de tous les noms, et en me menaçant de mort moi et mes jeunes frères (dont il avait récupéré les prénoms). À l’époque ça m’avait affecté, je ne savais pas que des joueuses ou joueurs de mon niveau pouvaient être concernés par ce genre de problèmes. Aujourd’hui, je ne lis même plus les messages. Je suis triste pour ces gens, qui n’ont rien de mieux à faire que de nous insulter. » Pour que ces messages d’insultes cessent d’être le quotidien des joueuses et des joueurs, qui ne devraient jamais être la cible de tels menaces, aidez-nous à les soutenir et à en parler dans le monde du tennis. Avant que cela n’aille plus loin…
Crédit photos : @EOBiarritz, @OpenNantesITF, @PronoTennisFr
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