À la fin du mois de février, l’ITF (Fédération Internationale de Tennis) annonçait vouloir réformer de fond en comble le format de la Coupe Davis. Cela a provoqué un tollé auprès de nombreux joueurs défendant les valeurs d’une compétition centenaire, qui semble pourtant avoir besoin d’une réforme. En effet, les meilleurs joueurs la désertent depuis quelques années… Quels sont les changements annoncés, et pourquoi tant de joueurs crient au scandale (les Français, vainqueurs en novembre dernier, en première ligne) ? Qui sont ceux qui défendent ce projet, qui devra être voté au mois d’août prochain ? Telles sont les questions auxquelles nous allons tenter de répondre ici pour vous éclairer sur le sujet.
1/ En quoi consiste cette réforme proposée par l’ITF ?
C’est une révolution que propose la Fédération Internationale. Finies les rencontres à domicile et à l’extérieur réparties sur quatre week-ends dans l’année. C’est ce qui a fait fuir les plus grands joueurs au fil du temps, et c’est le premier changement. La nouvelle formule de la Coupe Davis propose de bloquer une semaine complète (a priori fin novembre) pour jouer la compétition. Concernant le format, le Groupe Mondial accueillerait 18 équipes (16 qualifiées d’office et 2 invitées) pour une phase de poule en 6 groupes de 3 équipes. La compétition se jouerait alors sur terrain neutre (probablement en Asie), avec seulement trois matchs par rencontre (deux simples et un double) au meilleur des trois sets (contre cinq matchs au meilleur des cinq sets actuellement).
Le prize money a aussi été revisité grâce au soutien du fond d’investissement du footballeur Gérard Piqué, « Kosmos », qui aurait versé 20 millions de dollars dans ce nouveau projet. Un argument qui risque fort de réconcilier les stars de la balle jaune avec la compétition. Le saladier d’argent risque visiblement de ne jamais avoir aussi bien porté son nom…
2/ Alors que certains joueurs défendent ce projet…
Cette nouvelle réforme, dès qu’elle a été dévoilée au grand jour, n’a pas fait l’unanimité… Loin de là. Pourtant, certains joueurs ou anciens joueurs défendent ce projet. Ancien numéro un mondial, le Serbe Novak Djokovic (vainqueur de la Coupe Davis en 2010) fait partie des fers de lance de ce projet. Comme il l’a déclaré à nos confrères du Parisien : « En tant que président du conseil des joueurs et comme quelqu’un qui tient à ce sport, j’essaie juste d’aider. Cela fait un an et demi que je vois Piqué venir sur les tournois, faire beaucoup d’efforts avec ses associés… J’ai essayé d’être disponible. C’est une fantastique nouvelle ! On veut tous jouer pour notre pays, mais ça fait des années que je dis que le format actuel ne fonctionne pas. La preuve, les meilleurs joueurs sont de plus en plus rares à participer régulièrement. Je l’ai fait pendant des années, j’y suis allé après avoir atteint les derniers tours en Grand Chelem. À chaque fois tu te dis que ce n’est pas raisonnable. Changer le format de la Coupe Davis est une décision que beaucoup attendaient. » Avant d’ajouter : « C’est un changement au sein de la même compétition. Non, elle ne disparaît pas, elle est portée dans une autre dimension. Ce sera plus attractif pour le monde du sport, pour les sponsors, pour les médias et pour les fans. Les sports les plus attractifs ont ce genre de format. Sans oublier que les fédérations participantes récolteraient plus d’argent qu’aujourd’hui… »
Redevenu n°1 mondial en 2017 (place qu’il a depuis quelques jours cédée à Roger Federer), Rafael Nadal semble aller dans le même sens. « Je pense que ces changements sont bons. Quand quelque chose ne fonctionne pas parfaitement, il faut trouver de nouvelles solutions. C’est une bonne initiative qui peut fonctionner », a confié le Majorquin à l’agence allemande Deutsche Presse-Agentur. Comme beaucoup de top players, il ne joue plus cette compétition depuis de nombreuses années, lui qui l’a tout de même remportée quatre fois (2004, 2008, 2009 et 2011).
En France, cette nouvelle réforme a rencontré de nombreux détracteurs, mais Guy Forget fait partie de ceux qui la défendent. Toujours dans les colonnes du Parisien, l’ancien capitaine de l’équipe de France a déclaré : « C’est un sujet extrêmement clivant, délicat. Il reste encore de nombreuses interrogations, j’attends de voir ce qui va être voté avant de vraiment me prononcer, mais ce qui est certain, c’est que la Coupe a besoin de changements. »
Même le Président de la Fédération Française de Tennis, Bernard Giudicelli, s’est montré favorable à cette réforme. Selon lui, ce projet est « la seule solution viable et fiable ; mais tout sera mis sur la table et ce sera aux nations de décider. » Comme il le déclarait ensuite à l’AFP : « L’enjeu est que la Coupe Davis dans sa formule actuelle ne peut plus être soutenue par la Fédération internationale parce qu’elle ne sera plus soutenue à terme par les sponsors. L’ITF a compté jusqu’à huit sponsors pour financer la compétition, mais ils ne sont plus que trois. Le nombre de joueurs du top 10 et du top 20 qui participent à l’épreuve diminue d’année en année. La Coupe Davis est en danger et met en danger le fonctionnement de l’ITF. » Le Président de la FFT a même tenu à répondre aux critiques qu’il a reçues, de la part notamment de Yannick Noah et Lucas Pouille, dans les colonnes de notre confrère Le Parisien : « On ne veut pas tuer la Coupe Davis, on veut la sauver. Ce sont de bien mauvais procès qui me sont faits quand on parle du représentant de la Fédération Française. Au comité directeur, je représente toutes les nations qui m’ont élu et c’est dans les statuts de la constitution de l’ITF. Il faut faire la différence entre mon statut de membre du comité et celui de notre fédération. Je vais aussi présenter des éléments au sein de la FFT pour ouvrir le débat et expliquer les risques qui pèsent sur l’ITF. Que le comité dise non aurait été la pire décision. »
Enfin, David Haggertry, le Président de l’ITF, a tenu à s’exprimer pour nos confrères du Times afin de défendre son projet. Comme il l’a dit pour se défendre des propos tenus par Yannick Noah : « La plupart des joueurs ont réagi de manière positive à l’annonce, ils viendront jouer et aiment cette nouvelle idée. La chose dont j’avais toujours parlé c’est le besoin de faire venir jouer les meilleurs joueurs plus souvent. C’est un changement radical, mais que nous ne prenons pas à la légère ! La Coupe Davis est vieille de 118 ans et parmi toutes ces années il y a déjà eu des changements. Ce qui est certain, c’est que nous ne faisons pas ça pour tuer ou blesser la Coupe Davis. On fait tout ça pour élever l’ITF et sa compétition, pour améliorer le tennis. Je ne m’inquiète pas des messages de colère qu’on a pu entendre, je fais ça parce que je pense que c’est la chose à faire pour le tennis… Personnellement, je ne m’inquiète pas de savoir si c’est un risque politique ou pas. »
3/ … D’autres sont complètement contre !
L’un des plus véhéments sur ce sujet épineux aura été l’actuel capitaine des Bleus, Yannick Noah. Il s’est exprimé par un tweet dès l’annonce du nouveau projet : « La fin de la coupe Davis. Quelle tristesse. Ils ont vendu l’âme d’une épreuve historique. Sorry mister Davis. » Ancien DTN et médaillé aux Jeux Olympiques, Arnaud Di Pasquale a quant à lui déclaré, toujours sur Twitter : « Ok la Coupe Davis était à bout de souffle, mais il y avait d’autres solutions à expérimenter avant ce changement radical ?! De fait, on tue l’esprit, l’ambiance et les valeurs de cette compétition mythique. Honnêtement ? Ça (me) fait grave chier. »
En ce qui concerne les joueurs français, notre numéro un national, Lucas Pouille, n’a pas mâché ses mots : « Pour moi, c’est une peine de mort pour la Coupe Davis. Ils ont juste pris l’idée de l’ATP d’une Coupe du monde par équipes. C’est exactement la même chose. Une semaine, beaucoup d’équipes, pas mal d’argent. C’est ça qu’ils veulent faire. Vous ne pouvez plus l’appeler Coupe Davis. Quand vous ne jouez pas à la maison, ou dans le pays contre lequel vous jouez, ce n’est plus la Coupe Davis. Tous ceux qui ont vécu un match de Coupe Davis savent que c’est différent. Ce ne sera pas la même atmosphère. Je pense que c’est une très mauvaise idée. » Pour le Nordiste, cette nouvelle formule ne fera pas revenir Roger Federer ou Rafael Nadal, qui snobent la Coupe Davis ces dernières années : « Roger joue déjà 13 ou 14 tournois par an, il l’a déjà gagnée, c’est bon. Tous ceux qui l’ont déjà remportée ne vont pas forcément revenir. Peut-être si c’était tous les deux ou trois ans, ce serait différent. Mais, apparemment, ce sera la dernière semaine de novembre. On s’arrête quand ? On ne prend jamais de vacances ? Tout le monde dit que le circuit est déjà suffisamment compliqué comme ça, on est tous fatigués à la fin de l’année parce qu’on joue trop. Et là, ils veulent rajouter quelque chose à la fin de l’année ? Cela n’a aucun sens. »
Nicolas Mahut y est aussi allé de son petit mot, déclarant : « On vient de tuer la Coupe Davis. » Tout comme Cédric Pioline, l’adjoint du capitaine de l’équipe de France de Coupe Davis : « Il y a 20 millions de prize money, tout le monde va vouloir la jouer. C’est encore une fois l’oseille contre la tradition. » Amélie Mauresmo, ancienne capitaine de l’équipe de France de Fed Cup, a également réagi sur Twitter, parlant d’une « condamnation à mort. » Selon elle, « l’esprit de la Coupe Davis va complètement disparaître. »
Interrogé par nos confrères de L’Equipe à ce sujet, Paul-Henri Mathieu, fraîchement retraité des courts et finaliste malheureux en 2002, n’y est pas allé de main morte non plus. Comme il l’a déclaré : « C’est assez surprenant. Ils veulent vraiment faire une autre compétition. Il faudrait qu’ils disent qu’ils arrêtent la Coupe Davis et qu’ils changent de nom. L’essence même de la Coupe Davis, c’était de jouer à domicile ou à l’extérieur, vivre des moments intenses, forts, indescriptibles. Si on regroupe tout sur une semaine, on perd l’essence même de cette compétition historique. C’est la fin de la compétition. Je trouve dommage de supprimer la Coupe Davis, c’est une compétition historique. » Conscient que des changements sont cependant nécessaires, PHM regrette que la Coupe Davis puisse devenir une pâle copie de la Laver Cup : « Il ne faut pas se leurrer, les deux, trois dernières années, la Coupe Davis avait perdu de son intérêt parce que les meilleurs ne jouaient plus depuis la victoire des Suisses. Tous les meilleurs l’avaient gagné. Il fallait trouver un changement pour redorer la compétition. Mais là, ce n’est pas un changement, c’est la fin de la Coupe Davis. Je pense qu’il y avait d’autres solutions. Par exemple, on sait que le calendrier est chargé, donc espacer la compétition, la mettre tous les deux ans pour refaire venir les meilleurs joueurs. Là ils ne l’espacent pas, ça reste tous les ans, ça rajoute une semaine en fin d’année. La Laver Cup de Federer qu’est-ce que ça va devenir ? Qui va jouer quoi ? C’est un peu dur de tirer un trait dessus. »
À l’étranger, l’un des plus véhéments à s’être montré contre ce projet de l’ITF est l’ancien joueur devenu aujourd’hui capitaine de l’équipe d’Australie, Lleyton Hewitt. Il a tenu une chronique dans The Australian, dont le titre est clair : « L’ITF a du sang sur les mains. » Fervent défenseur des traditions, lui qui joue pour son pays depuis le plus jeune âge, l’ex-numéro un mondial démontre qu’il n’y a pas que les Français qui sont contre ce projet. Hewitt dénonce ainsi une réforme qui tuerait l’état d’esprit de la Coupe Davis, compétition centenaire qui a livré les plus belles batailles dans le monde du tennis selon lui. Quand on se rappelle de l’intensité de chacune de ses rencontres, que ce soit sur le court ou sur le banc, on comprend que Lleyton Hewitt s’affiche clairement contre le projet de l’ITF…
3 réflexions au sujet de “Coupe Davis : quels changements proposés par l’ITF et quel accueil de la part des joueurs ?”